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Le Temps d'un Livre

 « Ce qu’est un roman ? avant tout, c’est une quantité de temps. Quand vous voyez un roman dans une librairie, si vous êtes un peu attentif, vous pouvez évaluer immédiatement la quantité de temps qu’il contient. Et cela dans un double sens : le temps qui a été nécessaire à l’auteur pour l’écrire et le temps qu’il faudra pour le lire. » 
- Matéi Visniec, Le Marchand de premières phrases (trad. du roumain par Laure Hinckel)

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les conseils de lecture

nos libraires aiment (beaucoup) :

Ivan Vladislavic
La lecture
(Elyzad) 56 pages
« le libraire aime (beaucoup) :

« Cette maîtrise d’elle-même, était-ce de la force ? Ou bien quelque chose en elle avait-il été cassé, déconnecté à jamais, avait disjoncté ? Elle s’abandonnait si peu. Comme si elle avait écrit une histoire et l’avait gardée pour elle en même temps. Comme si, en la partageant, elle l’avait scellée. »
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C’est une soirée capitale à la Litteraturhaus pour cette première de la série « Écrivains sous le feu ». Sont présent l’autrice, rescapée, son traducteur, un spécialiste universitaire et un public nombreux et cultivé, comme il se doit. Malaise toutefois : Maryam Akello a décidé de lire dans sa langue maternelle, l’acholi, que bien sûr, à l’exception de son accompagnatrice, personne ne comprend dans la salle. Dès le début de ce court récit, le ton est donné. Trop subtil pour être satirique, trop incisif pour être une simple histoire larmoyante, La Lecture, du sud-africain Ivan Vladislavić - ici traduit de l’anglais par Georges Lory -, sème le doute dans la tête du lecteur et questionne notre rapport à l’empathie avec une grande habilité. Il met aussi en lumière toute l’ambigüité de l’événementiel en littérature. C’est bref et brillant et sans doute aussi essentiel que Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Dagerman ou que La Disparition du paysage de Jean-Philippe Toussaint. ©Yann Courtiau 2024
Didier Blonde
Oslo, de mémoire
(Gallimard) 150 pages
« Je me suis acharné sur mes souvenirs, me disant que ceux qui revenaient étaient peut-être inventés, à mon insu. J’avais beau avoir été heureux, maintenant, le voile qui recouvrait ces moments les assombrissait, parce que j’avais perdu la mémoire de mes sentiments et de mes sensations. J’en venais à douter de ces journées et de ces nuits passées avec elle. »
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L’auteur du très bon L’inconnue de la Seine (Gallimard, 2012) est de retour avec ce qu’on apprécie chez lui : le style de roman-enquête un rien modianesque et bourré de références au cinéma, à la littérature. C'est une lettre de Norvège qui ravive les souvenirs du narrateur et le replonge dans un voyage de jeunesse et de son errance à Oslo début 1980 avec, à la main, La Faim - de Knut Hamsun. Il sera question, dans cet agréable roman, de Colette, de cinéma muet, d’une écrivaine norvégienne culte, de documentaire, de Paris début XXème, d’Oslo 31 août (le film de Joachim Trier) du premier amour oublié du narrateur et de la quête de sa remémoration. Un vrai plaisir. ©Yann Courtiau 2024
Fabienne Radi
Une autobiographie de Nina Childress
(Beaux-Arts de Paris éditions) 244 pages
« Moi je peux avoir autant de plaisir en réparant une vieille lampe ou en construisant un meuble à roulettes qu’en peignant un tableau. Ce que j’aime, c’est faire. »
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Pour celles et ceux qui aimeraient découvrir ce qu’est une vie d’artiste, cette vraie fausse autobiographie, aussi drôle que malicieuse, est le Saint Graal (ou plutôt le Sacré Graal pour faire un clin d’œil aux Monty Python). Nina Childress, c ’est plus de quarante ans de peintures et un foisonnement de styles ; trente-six coupe de cheveux différentes (incluant la coupe « putois ») ; ce fut la chanteuse du groupe punk Lucrate Milk et une personne qui adore le birchermuesli (et en cela elle ne peut m’être que sympathique) ; c’est peut-être et surtout un parcours et un cheminement difficile pour « s’imposer » (mais là n’est pas le but – on pourrait aussi dire « gagner sa croûte » ou « nourrir ses enfants »), pour trouver des galeries, vendre des peintures ; c’est mille et une rencontres ; c’est le Mamco de Genève, etc. Au final, « c’est » rien moins que deux cent quarante quatre pages d’une vie pas comme les autres, habilement mis en texte par Fabienne Radi qui a su, comme Flaubert le disait : être présente partout mais visible nulle part. Et ça, c'est aussi tout un art. ©Yann Courtiau 2024
Martin Rueff
Au bout de la langue
(Nous) 232 pages
« Sans doute l’écrivain obéit-il à une étrange intentionnalité — il a certes l’intention d’écrire un roman, un poème ou un autre texte, peu importe le genre, mais à la différence de celle ou de celui qui n’est pas une écrivaine ou un écrivain, il est plutôt mû par le désir de faire quelque chose, écrire au bout de sa langue (…) »
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Voilà un essai qui porte bien son nom : Au bout de la langue, et qui pense — remâche serait-on presque tenté de dire — la langue comme organe et la langue comme capacité de s’exprimer. D’un souvenir de jeunesse d’Elias Canetti, qui croyait qu’on allait lui couper la langue, à Paul Valery, qui lui, à la question de savoir ce qu’il avait voulu dire préférait répondre que le poète n’est pas tant celui qui veut dire que celui qui veut faire, jusqu’à Aristote — pour qui la langue était l’organe même du toucher ! — , Martin Rueff, dont le savoir mène à une délicieuse ivresse, déroule une pensée vagabonde et généreuse dont le sujet central déborde rapidement sur d’autres questions, dont une ne peut que nous séduire, puisqu’il s’agit de l’écriture même. « Se mettre à écrire, nous dit ainsi Rueff dans un passage au sujet du philosophe Pascal, c’est donc occuper le lieu de la disparition — au bout de la langue. Écrire au bout de la langue, c’est donc écrire face à la disparition plus ou moins heureuse des mots, pour les rattraper peut-être, ou pour gagner le lieu où ils ont fui : une contrée mal définie qui ne nous attend pas. La Langue. » Magnifique. 
©Yann Courtiau 2024
les conseils de lecture

nos libraires aiment (beaucoup) :

Anne Alombert
Schizophrénie Numérique
(Allia) 90 pages
« Écartelée l’idéologie du progrès technologique et la réalité de la crise écologique, tiraillée entre les promesses du marketing stratégique et les regrets des entrepreneurs repentis, notre époque semble souffrir d’une véritable schizophrénie numérique. »
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Plus de quarante ans d’éditions et toujours source d’émerveillement, Allia publie ce brillant essai sur la schizophrénie numérique qui semble frapper nos sociétés. Attention : il ne s’agit pas d’un essai qui s’érigerait contre le numérique, mais plutôt d’une invitation à garder un esprit critique et de redéfinir aussi notre rapport à l’innovation et au progrès, car, comme le précise son autrice : « le danger n’est pas dans le progrès d’une superintelligence artificielle, il est dans l’industrialisation des esprits et l’automatisation de l’altérité. » Tout cela est fort intelligent, très lisible, passablement essentiel et hautement recommandé.
©Yann Courtiau 2024
Isabelle Cornaz
La Nuit au pas
(La Baconnière) 80 pages
« La seule chose qui me rassure dans les villes secrètes, inconnues, c’est l’idée que derrière le néant se cache encore la vie, que la carte n’est pas le territoire, que là où l’on croyait qu’il n’y avait rien il y a les hommes. C’est une pensée naïve, car les archipels cachés du monde, la plupart du temps, ce sont des camps où l’on maintient des êtres enfermés. »
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Journaliste et longtemps correspondante pour la Télévision Suisse Romande en Russie, plus précisément à Moscou, Isabelle Cornaz signe La Nuit au pas, un premier livre personnel, aux confins des genres, un peu autobiographique, proche parfois de l’essai, déployant son vague à l’âme à coup de fragments - prodigue de sa sensibilité aussi. La Nuit au pas est, vous le constaterez vite, d’une grande richesse en miniatures, c’est un livre d’une beauté intranquille, poétique et qui se lit et se relit, lentement. 
©Yann Courtiau 2024
Jean-Louis Bailly
Le Détachement
(L'Arbre Vengeur) 140 pages
"Je pourrais aussi l’intituler Le Détachement, puisque tout dans mon récit me mènerait à ce moment où la montgolfière, gonflée de joie et de liberté, prend son envol.
C’est un titre beaucoup plus chic, Le Détachement, beaucoup plus Minuit. Un de ceux qu’on arrive pas à retenir non plus. Parfait."
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Pourtant doté d’une mémoire que lui envie de beaucoup plus jeunes que lui, Ambroise Mathieu, écrivain « accidentel », est tout soudainement et inexplicablement privé de ce qui nous accompagne pourtant une vie entière : un nom. Devant l’incrédulité de sa femme, l’empathie ronflante de son meilleur ami et le scepticisme tout professionnel des médecins, le narrateur va user de mille et une ruses pour vivre avec cet embarrassante omission, pour cacher ce trou de mémoire, pour oublier l’oubli lui-même avant de s’en détacher avec philosophie. Habile, futé, espiègle parfois, Jean-Louis Bailly « gonfle » son idée et veille à ce que son roman – sa montgolfière – ne se dégonfle pas, notamment grâce à une histoire rondement menée mais aussi à la faveur de réflexions pertinentes sur le poids de ce nom qui nous (pour)suit toute une vie (ou presque) et ce qu’il représente. Un roman aussi fantaisiste que désabusé, qui trouvera, on l’espère, son lectorat mérité auprès de ceux qui aiment, pèle même : Emmanuel Bove, Laurent Graff, Eric Chevillard, Catherine Logean ou Jean Echenoz tiens. Génial. ©Yann Courtiau 2024
Emmanuel Venet
Contrefeu
(Verdier) 128 pages
« Ainsi, conclut Fernand Furet, «L’Indiscret de Pontorgeuil» pouvait se réjouir de présenter à ses lecteurs, en guise de bouquet final, une anecdote représentative de notre époque. Hélas, dernier numéro oblige, il ne pourrait pas révéler l’issue de ce fait divers à ses abonnés, qu’il saluait chaleureusement et à qui il souhaitait de trouver de nouveaux canaux d’information libre et roborative. »
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Lire Venet, c’est goûter un style élégant et plein d’intelligence, agrémenté d’un humour tout desprogien. Voici donc la chronique perfide et malicieuse du charme discret de la bourgeoisie de province — si l’on peut dire. Venet multiplie les points de vue, brouille les pistes et révèle les failles de chaque protagoniste avec autant de minutie que de désinvolture. C’est fin, c’est drôle, on serait même tenté de dire que c’est malheureusement si vrai que cela en devient cruel. Et le pire : c’est qu’on aime ça (on en redemande d'ailleurs). 
©Yann Courtiau 2024

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