Librairie
Le Temps d'un Livre
« Ce qu’est un roman ? avant tout, c’est une quantité de temps. Quand vous voyez un roman dans une librairie, si vous êtes un peu attentif, vous pouvez évaluer immédiatement la quantité de temps qu’il contient. Et cela dans un double sens : le temps qui a été nécessaire à l’auteur pour l’écrire et le temps qu’il faudra pour le lire. »
- Matéi Visniec, Le Marchand de premières phrases (trad. du roumain par Laure Hinckel)
La librairie est ouverte :
du mardi au vendredi, de 10h à 19h sans interruption
et le samedi de 10h à 18h. Attention : la librairie reste fermée le lundi.
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Samedi 21 décembre : 10h-19h sans interruption
Lundi 23 décembre : 10h-19h (exceptionnellement ouvert!)
Mardi 24 décembre : 10h-18h
Mercredi 25 décembre : fermé
Jeudi 26 décembre : 10h-19h
Vendredi 27 décembre : 10h-19h
Samedi 28 décembre : 10h-18h
Dimanche 29 décembre : fermé
Lundi 30 décembre : fermé
Mardi 31 décembre : 10h-17h
Mercredi 1er janvier : fermé
Jeudi 2 janvier : 10h-19h
Vendredi 3 janvier : 10h-19h
Samedi 4 janvier : 10h-18h
les conseils de lecture
nos libraires aiment (beaucoup) :
Marco Lodoli
Si peu(P.O.L.) 140 pages
« Je ne crois pas que nous vivrons un jour ensemble dans cette existence, sans doute ne saurions-nous pas quoi nous dire, ni quoi faire, comment nous tenir la main, nous sommes deux fantômes sans corps et sans maison, une éventualité qui reste suspendue dans le champ des possibles inassouvis, et c’est ce qui nous rend encore plus purs, plus limpides. Je peux attendre jusqu’à la fin, je n’ai rien à perdre, mon amour est plus grand que le temps qui passe. »
--
Le roman d’un amour à sens unique, d’une vie vide, du temps qui s’est écoulé sans que rien ne tente ni ne puisse le retenir, voilà bien ce que cache ce titre aussi génial qu’énigmatique : Si peu. Il aura donc fallu qu’à ma surprise plusieurs bons clients de la librairie fassent l’acquisition, la même semaine, de ce nouveau livre de Marco Lodoli publié aux éditions P.O.L. en cette rentrée 2024 (et magnifiquement traduit de l’italien par Louise Boudonnat), pour que je m’interroge et, coïncidence, que je lise encore un essai sur l’édition italienne où son nom apparaissait au détour d’une page pour que je me décide – et bien m’en a fait – de lire ce livre qui n’a été rien de moins qu’une déflagration pour moi. Le style est poétique et à la fois resserré, l’histoire est dramatique et belle comme le sont les plus pures tragédies ; il y a là une atmosphère qui rappelle le cinéma néo-réaliste italien des grandes années ; c’est une plongée dans une Rome des faubourgs et des quartiers sans touristes ; c’est aussi le portrait d’une femme remplie d’amour et prête à ne laisser dans sa vie nulle place à quoi et qui que se soit d'autre. Si peu, de Marco Lodoli, avec ses rebondissements multiples, ses lenteurs puis ses accélérations subites, est l’une des plus belles choses lue ces derniers temps. Je n’en reviens pas tout à fait et je crois bien que bouleversant est le bon mot. Donc acte.
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Le roman d’un amour à sens unique, d’une vie vide, du temps qui s’est écoulé sans que rien ne tente ni ne puisse le retenir, voilà bien ce que cache ce titre aussi génial qu’énigmatique : Si peu. Il aura donc fallu qu’à ma surprise plusieurs bons clients de la librairie fassent l’acquisition, la même semaine, de ce nouveau livre de Marco Lodoli publié aux éditions P.O.L. en cette rentrée 2024 (et magnifiquement traduit de l’italien par Louise Boudonnat), pour que je m’interroge et, coïncidence, que je lise encore un essai sur l’édition italienne où son nom apparaissait au détour d’une page pour que je me décide – et bien m’en a fait – de lire ce livre qui n’a été rien de moins qu’une déflagration pour moi. Le style est poétique et à la fois resserré, l’histoire est dramatique et belle comme le sont les plus pures tragédies ; il y a là une atmosphère qui rappelle le cinéma néo-réaliste italien des grandes années ; c’est une plongée dans une Rome des faubourgs et des quartiers sans touristes ; c’est aussi le portrait d’une femme remplie d’amour et prête à ne laisser dans sa vie nulle place à quoi et qui que se soit d'autre. Si peu, de Marco Lodoli, avec ses rebondissements multiples, ses lenteurs puis ses accélérations subites, est l’une des plus belles choses lue ces derniers temps. Je n’en reviens pas tout à fait et je crois bien que bouleversant est le bon mot. Donc acte.
©Yann Courtiau 2024
Frédéric Pajak
Le Chagrin d'amour(Noir sur Blanc) 334 pages
« Nice, fin du mois de septembre 1914. — Guillaume est invité à fumer de l’opium chez un dénommé Borie, romancier et poète qui occupe la fonction de commandant de port. Dans cette bonne société niçoise, comme dans toute la marine, le haschisch, la cocaïne et l’opium sont alors goûtés à profusion — Guillaume écrira : « La guerre était devenu un paradis artificiel. »
Le soir et la nuit durant, il aura pour voisine de natte Louise de Coligny-Châtillon, qu’il a rencontrée quelques jours plus tôt dans un restaurant du vieux Nice. »
--
La galerie des biographies croisées s’enrichi d’un nouveau portrait, même s’il s’agit ici d’une réédition puisque ce dernier - consacré à Apollinaire (à la guerre de 14 et au chagrin d’amour) - est paru suite au succès du volume sur Nietzsche et Pavese, à la fin des années 1990 et, un peu oublié depuis à l’instar des magnifiques Manifeste Incertain, vient justement ouvrir la voie au tome 10 qui sera consacré à Giacometti et Lowry (sortie prévue en janvier). Si la première partie est purement autobiographique, Pajak partant de lui pour aller vers Apollinaire, les trois quarts du livre se penche sur le cas de ce dernier, sa poésie, ses amitiés – Duchamp, Picasso, etc. -, ses amours (souvent déçus), son entrée en guerre aussi. Rien n’est épargné au lecteur. Ainsi, l’auteur de la Chanson du mal-aimé se révèle tout à tour fripon, dominateur, jaloux, obsédé, drôle, pathétique, génial. Pajak nous le donne à lire et à voir tel qu’il a été, tel qu’il est pour le chercheur, sans voile ni censure. Si ce n’est la qualité des dessins et la généreuse mélancolie que dégage ce texte d'une concision méticuleuse, Pajak use et abuse de la citation, de Kafka aux sublimes lettres de Catherine II à son amant Potemkine, en passant par Carson McCullers, et surtout : nous donne à lire et ressentir les lettres envoyées du front, tantôt à Lou, tantôt à Madeleine, dévoilant une sorte de « guerrier amoureux » qui échappe à la folie destructrice des hommes grâce à sa passion (auto-destructrice) pour les femmes. « Et j’espérais la fin du monde / Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan » écrivait Apollinaire dans un poème dédié à Picasso et intituler Les Fiançailles. Tout est là.
Le soir et la nuit durant, il aura pour voisine de natte Louise de Coligny-Châtillon, qu’il a rencontrée quelques jours plus tôt dans un restaurant du vieux Nice. »
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La galerie des biographies croisées s’enrichi d’un nouveau portrait, même s’il s’agit ici d’une réédition puisque ce dernier - consacré à Apollinaire (à la guerre de 14 et au chagrin d’amour) - est paru suite au succès du volume sur Nietzsche et Pavese, à la fin des années 1990 et, un peu oublié depuis à l’instar des magnifiques Manifeste Incertain, vient justement ouvrir la voie au tome 10 qui sera consacré à Giacometti et Lowry (sortie prévue en janvier). Si la première partie est purement autobiographique, Pajak partant de lui pour aller vers Apollinaire, les trois quarts du livre se penche sur le cas de ce dernier, sa poésie, ses amitiés – Duchamp, Picasso, etc. -, ses amours (souvent déçus), son entrée en guerre aussi. Rien n’est épargné au lecteur. Ainsi, l’auteur de la Chanson du mal-aimé se révèle tout à tour fripon, dominateur, jaloux, obsédé, drôle, pathétique, génial. Pajak nous le donne à lire et à voir tel qu’il a été, tel qu’il est pour le chercheur, sans voile ni censure. Si ce n’est la qualité des dessins et la généreuse mélancolie que dégage ce texte d'une concision méticuleuse, Pajak use et abuse de la citation, de Kafka aux sublimes lettres de Catherine II à son amant Potemkine, en passant par Carson McCullers, et surtout : nous donne à lire et ressentir les lettres envoyées du front, tantôt à Lou, tantôt à Madeleine, dévoilant une sorte de « guerrier amoureux » qui échappe à la folie destructrice des hommes grâce à sa passion (auto-destructrice) pour les femmes. « Et j’espérais la fin du monde / Mais la mienne arrive en sifflant comme un ouragan » écrivait Apollinaire dans un poème dédié à Picasso et intituler Les Fiançailles. Tout est là.
©Yann Courtiau 2024
Olivier Deloignon
Une histoire de l'imprimerie et de la choses imprimée(La Fabrique) 324 pages
« Or la chose imprimée, cet espace solide du langage, est une machine à penser… Avec l’imprimerie elle est (encore) consubstantielle à nos sociétés et à ce titre reste une arme sociale et politique. »
--
Après avoir publié une histoire de l’édition française et de la librairie indépendante, il fallait bien que les éditions La Fabrique nous gratifie d’une histoire de l’imprimerie – une histoire qui est aussi celle de l’écrit, du transfert des pensées vers le livre, ce « miroir de l’âme », cet arme politique et sociale, et de l’intensification de cette production et des mutations techniques que le lecteur et la lectrice vont pouvoir suivre du moyen âge jusqu’à notre époque contemporaine, avec l’apparition des photocopieuses Xerox qui vont accélérer la diffusion des fanzines durant les années 1970 et surtout 1980. Entre l’œuvre de l’esprit et l’objet – parfois l’objet d’art, puisqu’on assiste aussi à la naissance du graphisme, comme vous le découvrirez en lisant ce passionnant livre d’Olivier Deloignon -, l’imprimé traverses le temps et ses bouleversements (le passage des deux grandes guerres du XXème siècle est fascinant) jusqu’à aujourd’hui, période incertaine où il semble plus menacé que jamais - et pourtant si présent. Essentiel.
©Yann Courtiau 2024
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Après avoir publié une histoire de l’édition française et de la librairie indépendante, il fallait bien que les éditions La Fabrique nous gratifie d’une histoire de l’imprimerie – une histoire qui est aussi celle de l’écrit, du transfert des pensées vers le livre, ce « miroir de l’âme », cet arme politique et sociale, et de l’intensification de cette production et des mutations techniques que le lecteur et la lectrice vont pouvoir suivre du moyen âge jusqu’à notre époque contemporaine, avec l’apparition des photocopieuses Xerox qui vont accélérer la diffusion des fanzines durant les années 1970 et surtout 1980. Entre l’œuvre de l’esprit et l’objet – parfois l’objet d’art, puisqu’on assiste aussi à la naissance du graphisme, comme vous le découvrirez en lisant ce passionnant livre d’Olivier Deloignon -, l’imprimé traverses le temps et ses bouleversements (le passage des deux grandes guerres du XXème siècle est fascinant) jusqu’à aujourd’hui, période incertaine où il semble plus menacé que jamais - et pourtant si présent. Essentiel.
©Yann Courtiau 2024
Maïa Hruska
Contrefeu(Verdier) 128 pages
« Ainsi, conclut Fernand Furet, «L’Indiscret de Pontorgeuil» pouvait se réjouir de présenter à ses lecteurs, en guise de bouquet final, une anecdote représentative de notre époque. Hélas, dernier numéro oblige, il ne pourrait pas révéler l’issue de ce fait divers à ses abonnés, qu’il saluait chaleureusement et à qui il souhaitait de trouver de nouveaux canaux d’information libre et roborative. »
--
Lire Venet, c’est goûter un style élégant et plein d’intelligence, agrémenté d’un humour tout desprogien. Voici donc la chronique perfide et malicieuse du charme discret de la bourgeoisie de province — si l’on peut dire. Venet multiplie les points de vue, brouille les pistes et révèle les failles de chaque protagoniste avec autant de minutie que de désinvolture. C’est fin, c’est drôle, on serait même tenté de dire que c’est malheureusement si vrai que cela en devient cruel. Et le pire : c’est qu’on aime ça (on en redemande d'ailleurs).
©Yann Courtiau 2024
les conseils de lecture
nos libraires aiment (beaucoup) :
Sophie Gallé-Soas
L'homme au corbeau(Arléa) 112 pages
« Si les corbeaux ont fini par hanter ma vie, au point de me demander si je ne vivais pas à tes côté parmi les tiens, toi qui assumes ma part obscure, me précède et me suis comme une ombre, les chats, eux, l’ont égayée de la manière la plus excentrique qui soit.
Jouer, jouer, jouer. J’étais né pour jouer, comme dit la chanson, toujours prêt à me mettre à quatre pattes, à lisser ma moustache et à faire de ma vie une succession de cabrioles. »
Jouer, jouer, jouer. J’étais né pour jouer, comme dit la chanson, toujours prêt à me mettre à quatre pattes, à lisser ma moustache et à faire de ma vie une succession de cabrioles. »
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Lévi-Strauss voyait dans le corbeau le médiateur entre la vie et la mort. Masahisa Fukase, lui, a entretenu, sa vie durant, un dialogue secret avec ce même corbeau. Fukase ? Certains se souviennent peut-être, avec quelque embarras sans doute, avoir acheté à l’adolescence l’album 7000 Danses du groupe Indochine et d’avoir ainsi découvert (accidentellement) les photographies de corbeaux de ce photographe japonais qui figurent sur la pochette… mais passons. Né en 1934 et mort en 2012, Fukase se raconte en homme au corbeau sous la plume agile et légère de Sophie Gallé-Soas. Une jeunesse d’après la Seconde guerre mondiale et un destin tout tracé (reprendre le studio photo’ familial), bouleversé par le départ de Fukase de son île natale d’Hokkaidō pour la vibrante Toyko où il va fréquenter la scène interlope et les milieux du théâtre et du cinéma ; ses premiers succès photographiques, ses amours (tragiques), ses chats, son retour auprès de ses parents, tout y passe. C’est une traversée du Japon d’après la capitulation que nous fait vivre l’autrice par l’entremise de son narrateur (Fukase lui-même) et, plus largement - le Japon du renouveau et de l’assouplissement des mœurs pour la jeunesse d’alors et lorsque tout devenait soudainement possible. Ça tombe bien : Fukase est excentrique, la douzaine de photographies qui accompagnent ce texte prouvent son talent et sa malice, son originalité et son goût pour l’expérimentation. On se passionne vite et bien pour ce personnage farfelu. Une réussite de fiction biographique qui a le bon goût de donner dans la concision et la brièveté pour embarquer le lecteur comme dans un Shinkansen. Excellent.
©Yann Courtiau 2024
Hélène Giannecchini
Un désir démesuré d'amitié(La Librairie du XXIème siècle) 274 pages
« Saint-Just avait raison, l’amitié a une force révolutionnaire et ce n’est pas pour rien qu’elle est éliminée des registres officiels. L’amitié me protège, augmente ma puissance d’action, mon désir, mon intelligence, elle me permet de ne jamais refermer tout à fait la porte du foyer, elle redonne à l’amour sa liberté. Minimiser l’amitié, la reléguer à l’enfance (qu’on sous-estime aussi souvent), construire des institutions où elle n’a pas de place, la cantonner aux loisirs a une fonction. L’amitié est politique, elle nous donne envie d’inventer d’autres modes de vie ; elle ne nous rend pas dociles. »
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« (…) l’amitié nous sauve » explique Hélène Giannecchini dans ce brillant essai. Elle ajoute encore : « Elle est un principe fondateur et une protection. (…) elle est une alternative à la famille dite biologique, une autre manière de se lier, une force politique (…) ». Partant de son histoire personnelle pour aller vers l’autre, l’autrice analyse des photographies, voyant dans l’une d’entre elles – deux hommes en liesse (l’un en robe de mariée, l’autre en costume) – « la puissance subversive de la joie ». Elle visite des lieux à travers le monde, des archives aussi, d’où elle tire des récits d’amitié souvent bouleversants. C’est que, rejeté par la société pour leur orientation sexuelle – et bien souvent par leur propre famille -, c’est l’amitié qui a permis à beaucoup d’êtres de se sauver et de s’inventer une vie (qu'on espère) heureuse. Au fil des chapitres comme à une table de travail, s'invitent la photographe Donna Gottschalk, qui témoigne de la vie quotidienne de personnes queer ; puis Monique Wittig, qui, par ses textes, appelle l’autrice à user du récit comme d’une arme contre l’oubli ; ou encore Megan Rossman et son film The Archivette, film qui permet de découvrir le Lesbian Herstory Archives de Brooklyn, etc. Ce livre est intrigant, généreux, passionnant, inattendu, c'est un essai pour toutes et tous et j’ose le dire : essentiel. ©Yann Courtiau 2024
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« (…) l’amitié nous sauve » explique Hélène Giannecchini dans ce brillant essai. Elle ajoute encore : « Elle est un principe fondateur et une protection. (…) elle est une alternative à la famille dite biologique, une autre manière de se lier, une force politique (…) ». Partant de son histoire personnelle pour aller vers l’autre, l’autrice analyse des photographies, voyant dans l’une d’entre elles – deux hommes en liesse (l’un en robe de mariée, l’autre en costume) – « la puissance subversive de la joie ». Elle visite des lieux à travers le monde, des archives aussi, d’où elle tire des récits d’amitié souvent bouleversants. C’est que, rejeté par la société pour leur orientation sexuelle – et bien souvent par leur propre famille -, c’est l’amitié qui a permis à beaucoup d’êtres de se sauver et de s’inventer une vie (qu'on espère) heureuse. Au fil des chapitres comme à une table de travail, s'invitent la photographe Donna Gottschalk, qui témoigne de la vie quotidienne de personnes queer ; puis Monique Wittig, qui, par ses textes, appelle l’autrice à user du récit comme d’une arme contre l’oubli ; ou encore Megan Rossman et son film The Archivette, film qui permet de découvrir le Lesbian Herstory Archives de Brooklyn, etc. Ce livre est intrigant, généreux, passionnant, inattendu, c'est un essai pour toutes et tous et j’ose le dire : essentiel. ©Yann Courtiau 2024
Yves Ravey
Que du vent(Minuit) 124 pages
" La nuit tombait. Je me suis levé pour un dernier verre, j’ai fermé le bureau et la porte métallique à glissière de l’entrepôt. Vois-tu, Sally, avant tout j’ai besoin de tranquillité. Elle a tourné la tête. D’un geste, elle m’a signalé que Miko était rentré, puis elle a déclaré que je lui faisais perdre son temps."
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Yves Ravey déclarait, dans une revue : « Si je répondais à la question, comment j’écris, je commencerais par énoncer les faits, un peu comme un procès-verbal, ou une main courante. » Et c’est là toute la subtilité et la précision de ses derniers romans noirs qui, ajouté un à un, forment une galerie de portraits saisissants. Et pas n’importe lesquels : couple en perdition, ancien malfrat à peine sorti de prison, manipulateur (raté), etc. Si comme moi vous êtes un fanatique de ses relativement courtes histoires dont le texte est ramassé – à l’os, pourrait-on dire ! – pour ôter non seulement toute fioriture inutile ou dialogue superflu, vous allez adorer celle-ci qui revisite les codes de la Télénovela, plongeant le lecteur dans la torpeur des USA proche de la frontière mexicaine ; un roman tout en psychologie avec ses personnages parfaitement dessinés pour un récit qui, comme les histoires d’amour chantées par les Rita Mitsouko : ne peut que mal finir. C’est sec et vif, comme la rencontre fortuite d’un Jean Echenoz avec un Dürrenmatt – sans oublier la touche inimitable d’Yves Ravey, évidemment.
Rencontre avec Yves Ravey, le samedi 12 octobre prochain, au Temps d’un Livre
©Yann Courtiau 2024
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Yves Ravey déclarait, dans une revue : « Si je répondais à la question, comment j’écris, je commencerais par énoncer les faits, un peu comme un procès-verbal, ou une main courante. » Et c’est là toute la subtilité et la précision de ses derniers romans noirs qui, ajouté un à un, forment une galerie de portraits saisissants. Et pas n’importe lesquels : couple en perdition, ancien malfrat à peine sorti de prison, manipulateur (raté), etc. Si comme moi vous êtes un fanatique de ses relativement courtes histoires dont le texte est ramassé – à l’os, pourrait-on dire ! – pour ôter non seulement toute fioriture inutile ou dialogue superflu, vous allez adorer celle-ci qui revisite les codes de la Télénovela, plongeant le lecteur dans la torpeur des USA proche de la frontière mexicaine ; un roman tout en psychologie avec ses personnages parfaitement dessinés pour un récit qui, comme les histoires d’amour chantées par les Rita Mitsouko : ne peut que mal finir. C’est sec et vif, comme la rencontre fortuite d’un Jean Echenoz avec un Dürrenmatt – sans oublier la touche inimitable d’Yves Ravey, évidemment.
Rencontre avec Yves Ravey, le samedi 12 octobre prochain, au Temps d’un Livre
©Yann Courtiau 2024
Maïa Hruska
Contrefeu(Verdier) 128 pages
« Ainsi, conclut Fernand Furet, «L’Indiscret de Pontorgeuil» pouvait se réjouir de présenter à ses lecteurs, en guise de bouquet final, une anecdote représentative de notre époque. Hélas, dernier numéro oblige, il ne pourrait pas révéler l’issue de ce fait divers à ses abonnés, qu’il saluait chaleureusement et à qui il souhaitait de trouver de nouveaux canaux d’information libre et roborative. »
--
Lire Venet, c’est goûter un style élégant et plein d’intelligence, agrémenté d’un humour tout desprogien. Voici donc la chronique perfide et malicieuse du charme discret de la bourgeoisie de province — si l’on peut dire. Venet multiplie les points de vue, brouille les pistes et révèle les failles de chaque protagoniste avec autant de minutie que de désinvolture. C’est fin, c’est drôle, on serait même tenté de dire que c’est malheureusement si vrai que cela en devient cruel. Et le pire : c’est qu’on aime ça (on en redemande d'ailleurs).
©Yann Courtiau 2024
les conseils de lecture
nos libraires aiment (beaucoup) :
Grégoire Bouillier
Le syndrome de l'Orangerie(Flammarion) 496 pages
«Il existe une base réelle et sérieuse à ce que j'appelle « l’invention de mon faits divers », (…). Tant pis pour les psys et pour tous ceux qui prétendent toujours que je ne parle que de moi dans mes livres alors que, au vrai, je pars de moi, dans l’espoir d’aller vers les autres, vers le monde, vers la littérature et, en la circonstance, vers les Nymphéas de Claude Monet.
Tout ça pour dire que je vais continuer mon enquête.
J’ai même hâte de connaître la suite !»
--
Et si Monet n’avait fait que peindre une nouvelle fantastique d’Edgar Poe ? Qu’a-t ‘il donc voulu cacher dans ses Nymphéas et peut-être même : qui a-t ‘il enterré là ? Et qu’est-ce que l’auteur veut-il lui aussi cacher dans ce livre ? qui a-t ’il enterré, ou plutôt quoi ? « Faut-il que se soit la Bmore & Investigations qui, encore et toujours, fasse le sale boulot ? » demande le narrateur que les amateurs du précédent roman (Le Cœur ne cède pas) retrouveront ici avec délectation - sans parler des mille et une digressions, ouvertures de centaines de parenthèses pour invectiver la lectrice et le lecteur, des dizaines de références musicales, picturales – bien sûr -, des quelques réflexions sur le pouvoir de la littérature, etc. Ce livre va loin, trop loin sans doute, car qui donc oserait parler ainsi de la beauté et de la couleur sur le même plan que la mort et la désolation la plus inhumaine et le désespoir le plus sombre ? Giverny et Auschwitz – vraiment ?!? Bouillier l’a fait, avec autant d’intelligence que de culot pour une enquête de 496 pages qui déstabilisera le lecteur, le fera rire, pleurer parfois, l’amènera à se questionner sur le voile de mystère qui recouvre toutes choses. Le syndrome de l’Orangerie sera bientôt le vôtre. ©Yann Courtiau 2024
Tout ça pour dire que je vais continuer mon enquête.
J’ai même hâte de connaître la suite !»
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Et si Monet n’avait fait que peindre une nouvelle fantastique d’Edgar Poe ? Qu’a-t ‘il donc voulu cacher dans ses Nymphéas et peut-être même : qui a-t ‘il enterré là ? Et qu’est-ce que l’auteur veut-il lui aussi cacher dans ce livre ? qui a-t ’il enterré, ou plutôt quoi ? « Faut-il que se soit la Bmore & Investigations qui, encore et toujours, fasse le sale boulot ? » demande le narrateur que les amateurs du précédent roman (Le Cœur ne cède pas) retrouveront ici avec délectation - sans parler des mille et une digressions, ouvertures de centaines de parenthèses pour invectiver la lectrice et le lecteur, des dizaines de références musicales, picturales – bien sûr -, des quelques réflexions sur le pouvoir de la littérature, etc. Ce livre va loin, trop loin sans doute, car qui donc oserait parler ainsi de la beauté et de la couleur sur le même plan que la mort et la désolation la plus inhumaine et le désespoir le plus sombre ? Giverny et Auschwitz – vraiment ?!? Bouillier l’a fait, avec autant d’intelligence que de culot pour une enquête de 496 pages qui déstabilisera le lecteur, le fera rire, pleurer parfois, l’amènera à se questionner sur le voile de mystère qui recouvre toutes choses. Le syndrome de l’Orangerie sera bientôt le vôtre. ©Yann Courtiau 2024
Gregory Cingal
Les derniers sur la liste(Grasset) 310 pages
« Ainsi commence l’une des opérations de mystification les plus prodigieuses (et les plus méconnues) de la Seconde Guerre mondiale. Pendant une année, au nez à la barbe de leurs gardiens, une poignée de scientifiques juifs et non juifs, prisonniers d’un camp de concentration ultra-surveillé, vont au péril de leur vie alimenter l’armée allemande de centaines de litres de faux vaccins. Sans que personne, à Berlin comme à l’intérieur du camp, sur le front militaire comme à l’arrière, ne découvre la supercherie. Ce fut le secret le mieux gardé de Buchenwald. »
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Il y a des « phénomènes de libraires » et il y a, bien plus rarement, LE phénomène d’UNE librairie. En 2016, à la sortie de son premier roman (Ma nuit entre tes cils, chez Finitude), Gregory Cingal fut LE phénomène du Rameau d’Or, d'abord découvert et apprécié par la libraire Elise P. puis par le reste de l’équipe, nous en avions vendu plus de 300 exemplaires en deux ans, soit un quart des ventes – de quoi prendre contact avec l’auteur ! Auteur que j'ai eu donc la bonne surprise de retrouver en cette rentrée, avec ce récit à suspens digne des meilleurs Eric Vuillard, pour sa précision et son rythme haletant, sa complexité aussi, véritable réussite de littérature sans fiction - ou plutôt de roman-documentaire - retraçant, ente autres, l’évasion d’un groupe d’hommes du camp de Buchenwald à la toute fin de la guerre. Faux vaccin, alliance ambiguë, substitution d’identité, « division des fièvres », intrigues et jeux de pouvoir entre les détenus du camp, Stéphane Hessel ou, moins connue (mais superbe évocation aussi) : l’espionne Violette Szabo, ... il y a tant et tant dans ce livre passionnant où l’auteur, à bonne distance, vient de temps à autre donner des coups de coude au lecteur pour qu’il prenne bien conscience de ce qu’il lit, de l'importance de ce qu'il tient dans ses mains, de ce qui rentre dans sa tête. Un livre qui devrait faire date (Goncourt ?). ©Yann Courtiau 2024
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Il y a des « phénomènes de libraires » et il y a, bien plus rarement, LE phénomène d’UNE librairie. En 2016, à la sortie de son premier roman (Ma nuit entre tes cils, chez Finitude), Gregory Cingal fut LE phénomène du Rameau d’Or, d'abord découvert et apprécié par la libraire Elise P. puis par le reste de l’équipe, nous en avions vendu plus de 300 exemplaires en deux ans, soit un quart des ventes – de quoi prendre contact avec l’auteur ! Auteur que j'ai eu donc la bonne surprise de retrouver en cette rentrée, avec ce récit à suspens digne des meilleurs Eric Vuillard, pour sa précision et son rythme haletant, sa complexité aussi, véritable réussite de littérature sans fiction - ou plutôt de roman-documentaire - retraçant, ente autres, l’évasion d’un groupe d’hommes du camp de Buchenwald à la toute fin de la guerre. Faux vaccin, alliance ambiguë, substitution d’identité, « division des fièvres », intrigues et jeux de pouvoir entre les détenus du camp, Stéphane Hessel ou, moins connue (mais superbe évocation aussi) : l’espionne Violette Szabo, ... il y a tant et tant dans ce livre passionnant où l’auteur, à bonne distance, vient de temps à autre donner des coups de coude au lecteur pour qu’il prenne bien conscience de ce qu’il lit, de l'importance de ce qu'il tient dans ses mains, de ce qui rentre dans sa tête. Un livre qui devrait faire date (Goncourt ?). ©Yann Courtiau 2024
Béatrice Commengé
Ne jamais arriver(Verdier) 156 pages
« Se pourrait-il que mon île se situât bel et bien sur un lac ? Puisque l’on m’obligeait à rester chez moi, puisque le rêve de découvrir mon île après une longue traversée de quatre pays aux frontières désormais fermées m’était interdit, il m’avait suffit d’un clic pour satisfaire ma curiosité : insula Ovidiu était, en effet, située au milieu du lac Siutghiol, séparé de la haute mer par une langue de terre sablonneuse transformée en l’une de ces stations balnéaires hérissées d’hôtels monotones avec « vue sur la mer » et d’aires de jeux aux toboggans multicolores. L’été, tandis que les plages se couvraient de parasols et de cris d’enfants, l’île vendait son calme et sa verdure aux touristes épris de silence : vingt minutes suffisaient pour poser le pied sur une légende. »
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Ce récit d’un voyage différé sur les traces d’Ovide – l’exilé par excellence -, fait écho aux mots de Starobinski qui (dans la Nuit de Troie) écrivait que l’exil était : « l’ouverture simultanée sur un passé remémoré et sur un futur où l’action va se porter. » Avec le confinement, Béatrice Commengé va faire l’expérience d’une forme nouvelle d’exil intérieur. Ainsi, recluse, elle imagine son voyage et, à défaut d’espaces et de routes, plonge dans le passé de l’auteur des Métamorphoses, lui-même chassé de Rome à cause de ses écrits licencieux. Assigné à résidence dans la ville de Tomis, en Scythie mineure - l'actuelle Constanța, en Roumanie -, Ovide y écrit des poèmes de lamentations et de nostalgie (les Tristes et les Pontiques) et vit son exil comme un assassinat. Dans L’Art d’Aimer, le poète raconte comment faire durer la passion ; c’est au tour de Béatrice Commengé de prolonger la fièvre et le désir puisqu’au fur et à mesure que les frontières s’ouvrent à nouveau, l’autrice tente de prendre la route aux côtés d’Ovide, étirant le temps, ralentissant ce périple qui devient long et sinueux, se remémorant ses premiers voyages en Italie, passant par mille et un détours géographiques comme pour mieux retarder son arrivée sur cette île de tous les fantasmes. Récit littéraire et de voyage autant que biographique, d’une douceur inouïe, Ne jamais arriver rappelle en nous que le livre est peut-être, avant tout, un désir de solitude et de calme bienvenu. Merveille. ©Yann Courtiau 2024
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Ce récit d’un voyage différé sur les traces d’Ovide – l’exilé par excellence -, fait écho aux mots de Starobinski qui (dans la Nuit de Troie) écrivait que l’exil était : « l’ouverture simultanée sur un passé remémoré et sur un futur où l’action va se porter. » Avec le confinement, Béatrice Commengé va faire l’expérience d’une forme nouvelle d’exil intérieur. Ainsi, recluse, elle imagine son voyage et, à défaut d’espaces et de routes, plonge dans le passé de l’auteur des Métamorphoses, lui-même chassé de Rome à cause de ses écrits licencieux. Assigné à résidence dans la ville de Tomis, en Scythie mineure - l'actuelle Constanța, en Roumanie -, Ovide y écrit des poèmes de lamentations et de nostalgie (les Tristes et les Pontiques) et vit son exil comme un assassinat. Dans L’Art d’Aimer, le poète raconte comment faire durer la passion ; c’est au tour de Béatrice Commengé de prolonger la fièvre et le désir puisqu’au fur et à mesure que les frontières s’ouvrent à nouveau, l’autrice tente de prendre la route aux côtés d’Ovide, étirant le temps, ralentissant ce périple qui devient long et sinueux, se remémorant ses premiers voyages en Italie, passant par mille et un détours géographiques comme pour mieux retarder son arrivée sur cette île de tous les fantasmes. Récit littéraire et de voyage autant que biographique, d’une douceur inouïe, Ne jamais arriver rappelle en nous que le livre est peut-être, avant tout, un désir de solitude et de calme bienvenu. Merveille. ©Yann Courtiau 2024
Mikaël Hirsch
L'Effet Magnani(Le Dilettante) 156 pages
« Entrainé malgré moi par l’inertie de la fiction littéraire, je continuais à vouloir raconter la collision de ces deux personnages qui, selon moi, aurait dû avoir lieu. Je voulais leur offrir cet espace de liberté qu’ils n’avaient pas eu la chance d’avoir de leur vivant. D’une certaine manière, je m’associais au mensonge, j’en devenais une part fondamentale, le colporteur, plutôt que l’instigateur anonyme. »
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« Je salue la fraternité des hommes, le monde des arts et Anna Magnani » - des Fake news comme celle-là, on aimerait en lire plus souvent ! Haletant dès les premières pages et sans perdre ni son rythme ni son intérêt, L’effet Magnani est un roman qui ne lâche pas son lecteur (et réciproquement) en lui proposant une enquête vraie sur une fiction éblouissante dont les questions centrales deviennent vite : que s’est-il passé la nuit du 8 au 9 octobre 1961 dans un hôtel de Gênes ? Youri Gagarine a-t-il profité d’être en orbite pour déclarer sa flamme à l’interprète féminine de Rome, ville ouverte ? Et Magnani en pinçait elle pour le fringant cosmonaute russe ? Passant d’une biographie à l’autre, Mikaël Hirsch nous embarque dans un songe diablement habile où l’on passe de la Russie soviétique à l’Italie des grandes années du cinéma. Rien de mieux qu'une fiction aussi réussie que truculente pour embellir une réalité peut-être un peu morne, surtout si, comme avec ce roman, les références - riches et toujours pertinentes - n’étouffent en rien l’idée première. Épatant. ©Yann Courtiau 2024